Adèle Hugo

1830 - 1915

 A ma fille Adèle

***

Tout enfant, tu dormais près de moi, rose et fraîche,
Comme un petit Jésus assoupi dans sa crèche ;
Ton pur sommeil était si calme et si charmant
Que tu n'entendais pas l'oiseau chanter dans l'ombre ;
Moi, pensif, j'aspirais toute la douceur sombre
Du mystérieux firmament.

Et j'écoutais voler sur ta tête les anges ;
Et je te regardais dormir ; et sur tes langes
J'effeuillais des jasmins et des oeillets sans bruit ;
Et je priais, veillant sur tes paupières closes ;
Et mes yeux se mouillaient de pleurs, songeant aux choses
Qui nous attendent dans la nuit.

Un jour mon tour viendra de dormir ; et ma couche,
Faite d'ombre, sera si morne et si farouche
Que je n'entendrai pas non plus chanter l'oiseau ;
Et la nuit sera noire ; alors, ô ma colombe,
Larmes, prière et fleurs, tu rendras à ma tombe
Ce que j'ai fait pour ton berceau.

 

Adèle naît en 1830, le 24 août, peu de temps après la période des Trois Glorieuses qui voit la chute de Charles X et l’avènement de Louis-Philippe. Elleest la seconde fille de Victor Hugo et la dernière enfant de la famille. Elle était une pianiste remarquable. Elle portait le prénom de sa mère, mais chez les Hugo, on l’appelait plutôt «Dédé».  Adèle connut comme sa sœur Léopoldine morte noyée à l’âge de dix-neuf ans , un destin tragique. L’histoire retient davantage les célèbres vers du recueil Les Contemplations dans lesquels Victor Hugo rend hommage à Léopoldine, l’enfant trop tôt disparu, tandis que l’autre - Adèle – glissait lentement vers le précipice de la folie.

Après le coup d’Etat de Louis Napoléon Bonaparte, le 2 décembre 1851, condamné publiquement par l’écrivain, ce dernier est contraint à l’exil. Il fuit d’abord à Bruxelles, puis gagne l’île anglo-normande, Jersey, et enfin Guernesey en 1855. Il s’installe avec sa famille à Hauteville House. Loin de sa patrie, il écrit ses plus grandes œuvres: Les Contemplations, La Légende des siècles, Les Châtiments, Les Travailleurs de la mer ou encore Les Misérables. Toute la famille s’affaire autour de l’immense écrivain: les enfants se lancent dans la photographie, l’écriture, Mme Hugo rédige elle-même la biographie de son époux et la petite Adèle tient le journal de bord de la tribu.

Affectée par la mort prématurée de sa sœur Léopoldine et supportant mal l’exil, Adèle montre, dès 1856, des signes de troubles psychiques, elle vit dans l'ombre de sa soeur.

Elle était pâle et pourtant rose

Elle était pâle, et pourtant rose,
Petite avec de grands cheveux.
Elle disait souvent : je n'ose,
Et ne disait jamais : je veux.

Le soir, elle prenait ma Bible
Pour y faire épeler sa soeur,
Et, comme une lampe paisible,
Elle éclairait ce jeune coeur.

Sur le saint livre que j'admire
Leurs yeux purs venaient se fixer ;
Livre où l'une apprenait à lire,
Où l'autre apprenait à penser !

Sur l'enfant, qui n'eût pas lu seule,
Elle penchait son front charmant,
Et l'on aurait dit une aïeule,
Tant elle parlait doucement !

Elle lui disait: Sois bien sage!
Sans jamais nommer le démon ;
Leurs mains erraient de page en page
Sur Moïse et sur Salomon,

Sur Cyrus qui vint de la Perse,
Sur Moloch et Léviathan,
Sur l'enfer que Jésus traverse,
Sur l'éden où rampe Satan.

Moi, j'écoutais... - Ô joie immense
De voir la soeur près de la soeur!
Mes yeux s'enivraient en silence
De cette ineffable douceur.

Et, dans la chambre humble et déserte,
Où nous sentions, cachés tous trois,
Entrer par la fenêtre ouverte
Les souffles des nuits et des bois,

Tandis que, dans le texte auguste,
Leurs coeurs, lisant avec ferveur,
Puisaient le beau, le vrai, le juste,
Il me semblait, à moi rêveur,

Entendre chanter des louanges
Autour de nous, comme au saint lieu,
Et voir sous les doigts de ces anges
Tressaillir le livre de Dieu !

 

En 1858, elle regagne Paris pour se faire soigner. En 1861, lors d’un voyage en Angleterre, elle tombe follement amoureuse du lieutenant, Albert Pinson, mais cette passion n’est point partagée. Pourtant en juin 1863, Adèle s’enfuit de la demeure familiale et s’embarque pour Halifax, en Nouvelle-Ecosse. Elle n’a qu’une seule idée en tête: rejoindre l’officier! Hélas, à l’autre bout de l’Atlantique, la demoiselle ne trouve pas ce dont elle rêvait, car Albert Pinson se moque bien des expectations de Mlle Hugo. L’amour chez Adèle vire à l’obsession et elle perd peu à peu la raison. Sa famille la supplie de rentrer au plus vite, mais Adèle s’obstine. En septembre 1863, elle annonce même à ses parents qu’elle a enfin épousé le lieutenant. Persuadé que sa fille lui dit la vérité, Victor Hugo annonce les noces dans La Gazette de Guernesey. Quelques semaines plus tard, Adèle est contrainte d’avouer la supercherie mais elle n’accepte pas pour autant de quitter le Canada. Elle poursuit même Albert Pinson jusqu’à la Barbade. Pendant ces années d’errance et d’éloignement de la cellule familiale, Adèle sombre dans la démence.

En 1871, l’exil de Victor Hugo se termine. Il rentre à Paris, fait rapatrier sa fille, et se sent obligé de la faire interner,  à l’hôpital Saint-Mandé. Adèle y passera le restant de ses jours – soit plus d’une quarantaine d’années!  A la mort de Victor Hugo, elle est admise à Suresnes. Elle y meurt en 1915, mais la Première Guerre Mondiale occulte la disparition de la dernière des enfants Hugo. Triste destinée que celle de cette belle jeune fille si douée pour la musique et l’écriture.

Adèle immortalisé au cinéma :

En 1975, François Truffaut réalise L’Histoire d’Adèle H. L’actrice Isabelle Adjani y incarne magistralement la fille de Victor Hugo. Le scénariste choisit d’explorer, sous un angle très romantique, la fuite d’Adèle à Halifax puis à la Barbade; les souffrances de la jeune fille et sa longue déchéance.